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Souvenirs de Eugène Le Gall

Sur le SS Wyoming (1942-1943)

Odyssée d’un convoi torpillé

Le début du voyage



Je dédie ce chapitre de mes souvenirs à mon ami Pierre Allain disparu dans les années cinquante.

C'est grâce à lui, officier de sécurité sur le Wyoming, si le torpillage ne s'est pas terminé en tragédie. L'entraînement intensif qu'il a fait subir à son équipe, ainsi qu'à l'équipage tout entier, tant à Casablanca que durant la traversée, a permis une évacuation ultrarapide de tous les marins et passagers, ceci sans panique, ceci aussi en moins de "quatre minutes".

Chapeau Allain !

Le jour du départ finit par arriver. Le bord fut consigné 24 heures avant. Seul, avec le commandant Legrand, j'allai à la conférence de départ qui avait lieu au 20ème étage de l'immeuble de la Capitainerie, Battery place.

C'était le Vendredi 5 Mars.

Chaque navire du convoi, qui portait l'indicatif UGS-6, étant mouillé en rade intérieure, l'appareillage se fit suivant le plan prévu par les instructions. Dans le chenal d'Ambrose la formation était en "ligne de file", elle continuait encore dans le chenal de sécurité jusqu'à la sortie des champs de mines. Mais les navires de commerce sont peu manoeuvrants, surtout chargés comme ils étaient; une pagaïe inouïe se produisit. Deux navires entrèrent en abordage, et ils durent faire demi-tour.

Une fois en haute mer, il ne fallut pas moins de deux heures pour prendre la formation de convoi en «ligne de front». Il y avait au total 45 navires, escortés par sept destroyers du type Indomptable : le Wainwright (chef d'escorte, captain Wellborn), le Triffle, le Champlin, et puis les Mayvant, Rowan, Rhind, Holby.

La 4ème nuit, comme j'étais de quart, une première alerte eut lieu. Un navire naviguant isolément venait droit sur le convoi, sans changer de route malgré les signaux du Commodore. Celui-ci ordonna une abattée d'urgence, tout à la fois, sur la gauche. A l'extinction du signal (deux feux rouges au dessus d'un feu vert) tout le convoi mit la barre toute à bâbord et abattit de 45°.

Mais, avant que cette abatu fut terminée, une deuxième fut affichée, de 45° également. Il en résulta un cafouillis général. La moitié des navires n'exécuta qu'une seule abatée, si bien que notre colonne se trouva coincée entre deux autres, celle de bâbord qui n'abattait plus et celle de tribord qui continuait à venir sur la gauche. Il fallut manoeuvrer énergiquement et mettre en arrière toute et se laisser culer.

Mais le navire isolé avait fini par aborder un des navires de notre convoi; celui-ci, très endommagé dut être abandonné, de même le Norvégien, et tous les deux coulèrent. Et de quatre!

Le Wyoming resta sur les lieux pendant une demi-heure, puis remit en route pour rallier le convoi. Le résultat de cet abordage fut que nous passâmes de la 8ème à la 9ème colonne, à un poste que les Américains appellent d'une façon expressive le "Coffin Corner" : coin du cercueil, parce qu'il est plus accessible à une attaque.

Or depuis la veille, les destroyers avaient détecté une meute de sous-marins. C'était le groupe dit "Unverzagt". L'offensive de printemps commençait.

Le 12 Mars au soir, le Champlin fonçait sur un contact radar à 4000 mètres. Toute la nuit la chasse se poursuivit, avec succès. Le sous-marin U130 fut coulé.

Deux autres meutes furent dépêchées vers le convoi par l'amiral Dönitz: la meute "Wohlgemut", venant du Nord et la meute "Tummler", venant des cotes du Maroc. Les trois meutes avaient été détectées et signalées au Commodore. Celui-ci décida de changer la route et de contourner les Açores par le Nord. Cela permettrait d'atteindre la zone de protection de l'aviation avant que "Tummler" soit à pied d'oeuvre. En même temps la navigation en zigzag fut décidée, suivant le code secret des zigzags, dont voici un exemple ci-dessous

Mais déjà un drame s'était joué dans le convoi. Le 11 Mars après-midi, le Keystone était tombé en panne de machine. C'était le cargo qui nous avait dépassé lors de la dispersion du convoi, à l'aller.

Un contre torpilleur resta près du navire. Le lendemain, il put remettre en route, et l'escorteur l'abandonna pour rallier le convoi. A 21h je rédigeais mon journal de bord, quand la radio nous communiqua un SOS du Keystone, attaqué par un sous-marin. Un destroyer dépêché sur les lieux ne put sauver que quelques hommes de l'équipage. Le navire avait été torpillé par l'U-172 (LV Zimmermann).

Le 15 Mars à midi, nous étions à 40 milles au nord de Corvo, ainsi qu'il résultait de la méridienne que je calculais avec mon ami Champagne. Les jours passés, le temps avait été assez mauvais, la mer était très grosse et le vent très frais.

Il était sept heures moins quelques minutes ce soir-là, quand Allain et moi nous nous levâmes de table, lui pour aller relever Champagne, moi pour aller me reposer en attendant de prendre le quart à 23 h. Nous avions fort bien dîné et pour terminer, Allain nous avait même offert une bouteille de bon vin blanc.

Mais la relève n'aurait jamais lieu, et je ne devais pas davantage me reposer dans ma cabine.


Auteur inconnu. Eugène Le Gall s'est reconnu sur cette peinture...

























La route du convoi UGS 6.

























©titanne
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Mis à jour le 30 juillet 2010



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