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Souvenirs de Eugène Le Gall

Intermède d'une année sabbatique à Casablanca

Le centre Pétain

Peu de jours après, exactement le Dimanche 21 Mars 1943, j'étais désigné pour diriger en second le Centre Pétain. Nous étions deux : le commandant était le chef mécanicien Aoustin. Le centre Pétain était une immense halle où autrefois étaient remisés des véhicules industriels, des machines agricoles Caterpillars. Il pouvait loger deux cent marins. Des cloisons mobiles isolaient ceux-ci par groupe de 10. Cela me faisait penser un peu aux refuges de l'armée du salut.

Un bureau vitré existait au centre, le long de la muraille. Une seule fenêtre l'éclairait, donnant sur une rue, et fermée par de solides barreaux. C'est là que je me tenais dans la journée. J'avais aussi un lit pour la nuit.

Aoustin et moi étions de garde 24 heures durant, alternativement. Le midi et le soir, nous allions dîner, soit au restaurant du poisson, soit au club.

Nous n'avions guère que de la présence à effectuer, en dehors de l'accueil des marins rescapés des torpillages. Nous étions en liaison avec l'Inscription Maritime qui nous les adressait. Quand un navire avait besoin de personnel, elle nous téléphonait et nous cherchions dans nos registres les hommes qui correspondaient à la demande. Souvent, lorsqu'ils étaient contactés, ils s'évanouissaient dans la nature et on ne les revoyait plus, préférant chercher du travail dans le civil, plutôt que courir le risque d'un torpillage.

Je profitais de ce répit pour réécrire mes souvenirs : de guerre, musicaux et autres, … tout un ensemble de trésors qui avaient disparu lors de mon torpillage, ensemble avec des documents, des photographies d'une valeur inestimable pour moi, et qui gisaient, à présent, par trois mille mètres de fond, à cent milles des Açores.

Le séjour au centre Pétain dura environ deux mois. Dans cet intervalle eut lieu le procès maritime du Commandant Legrand, pour la perte totale de son navire. Le verdict ne faisait aucun doute ; il fut acquitté, avec les félicitations du tribunal, étant donné surtout qu'il n'y avait eu aucune perte de vie humaine. A ce sujet je dois reconnaître que le plus grand mérite en revient à mon camarade Pierre Allain, 2ème lieutenant à bord du Wyoming et officier de sécurité. Grâce aux nombreux exercices qu'il fit exécuter, tant à Casablanca qu'à New-York, et en mer, l'évacuation dans les embarcations de sauvetage se fit dans le plus grand ordre et le regroupement des quatre canots fut réalisé rapidement. Sans cela, étant donné la rapidité avec laquelle le navire disparut, nous aurions eu à déplorer de nombreuses victimes. Le commandant De Beaudean lui rend d'ailleurs indirectement hommage dans son livre intéressant "Service à la mer".

C'est peu après l'acquittement du Commandant Legrand que je fus décoré par celui-ci, dans une "prise d'armes" plutôt cocasse.

Je revenais du centre Pétain et me rendais au restaurant du poisson pour déjeuner. Arrivé devant le grand marché de Casablanca, boulevard de la gare, je le vis venir à ma rencontre. Je le saluai et il m'annonça son acquittement, puis sans transition, il me dit :

« Eh bien ! Vous pouvez dire que vous êtes un truster de décorations ! Ma parole, il n'y en a que pour vous ! »

Plongeant la main dans sa poche, il en tira une poignée de médailles et deux certificats signés de l'Amiral Michelier, commandant de la marine à Casa.

C'étaient :

1° La croix de guerre avec citation et étoile d'argent pour le débarquement américain.

2° La croix de guerre avec citation et étoile d'argent pour le torpillage du Wyoming.

3° La croix de guerre marine marchande américaine - ibidem-

4° La médaille américaine pour le théâtre d'opérations Atlantique.

5° La médaille américaine pour la Méditerranée.

Un vin d'honneur suivit au "Poisson" sous forme d'un apéritif que je fis servir à mes camarades présents au restaurant ce jour-là. Un certain nombre d'entre eux eurent également droit à la distribution de croix de guerre, distribuées de la même façon peu protocolaire par le Commandant Legrand.

C'est peu après, le lundi 24 Mai, que je quittai le centre Pétain, pour être embarqué sur … une épave : l'Ile de Noirmoutiers.













©titanne
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Mis à jour le 30 juillet 2010



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