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Souvenirs de Eugène Le Gall

Avec la 8e DCT (1939-1940)

Le raid du Skagerrak – 23-24 avril 1940

Le raid retour

La première attaque eut lieu vers 7h. Je venais de prendre le quart sur la passerelle. Le ciel était couvert.

Soudain trois bombardiers surgirent des nuages et foncèrent sur l’Indomptable. Les klaxons de la DCA retentirent aussitôt : les 37 m/m, les mitrailleuses de 13 et de 8, crachèrent le feu dès que les avions furent à portée. Ceux-ci descendirent entre 800 et 1000 m.

La division, d’abord formée en ligne de file, s’était dispersée et reformée tant bien que mal en ligne de front, à mille mètres les uns des autres. L’Indomptable était à gauche et la division exécutait de vastes lacets autour de la route moyenne. La vitesse était montée progressivement à 40 noeuds.

La première bombe tomba à cinquante mètres droit sur l’avant de l’Indomptable. Je vis une immense colonne d’eau noirâtre s’élancer de la mer jusqu’à soixante mètres de hauteur. Puis elle retomba et le contre-torpilleur entra dans un véritable rideau verdâtre et noir de foudre à la fois. On eut l’impression pendant un court instant d’être derrière la vitre d’un immense aquarium. Presque simultanément, deux autres bombes éclatèrent, assez loin sur l’arrière. Raté, pour cette fois. Mais nous l’avions échappé belle. A deux secondes près, la bombe tombait sur la passerelle.

Les trois bombardiers piquèrent alors sur le Malin qui fut sérieusement encadré, puis sur le Triomphant, sans succès encore, et ils disparurent dans l’Ouest.

Vers neuf heures, deux avions anglais apparurent. Ils étaient chargés de nous escorter. Ils tournèrent autour de nous à basse altitude, échangeant des signaux optiques.

Et soudain, ce fut le drame. Trois chasseurs allemands sortirent des nuages comme l’éclair et foncèrent en piqué sur les Anglais. Ceux-ci étaient loin de s’attendre à cette attaque. Presque immédiatement l’un d’eux s’abattit en flammes, un deuxième prit feu également par l’arrière mais continua à voler un certain temps encore. On vit s’en élancer un parachutiste et, quelques secondes plus tard, il s’écrasait dans la mer. L’Indomptable mit le cap sur le point d’impact mais on ne vit rien, en dehors du parachute.

Et pour la deuxième fois, nous subîmes l’attaque à la bombe. Cette fois ils commencèrent par le Triomphant. Nous vîmes celui-ci disparaître complètement derrière un rideau de fumée. Ce fut un moment d’angoisse ; était-il touché ? Non, nous le vîmes bientôt réapparaître, indemne.

Le Malin fut très étroitement encadré et criblé d’éclats. Il dut diminuer de vitesse, et l’allure de la division fut réglée à 30 noeuds. Enfin à notre tour, nous encaissâmes deux bombes qui tombèrent assez loin par bâbord. Et les assaillants disparurent une fois de plus.

Depuis le matin nous étions intrigués par un avion mystérieux qui se tenait toujours à l’horizon de l’Ouest, sans essayer de se rapprocher. Nous finîmes par comprendre que c’était un observateur chargé de tenir contact et de renseigner les Allemands sur notre progression.

La troisième attaque eut lieu à 11h30. De nouveau, le Triomphant eut chaud aux oreilles. Une épaisse fumée noire s’échappa de ses cheminées. Une bombe tombée tout près de son arrière avait faussé la chaise porte hélice bâbord. Il dut ralentir et l’allure de la division tomba à vingt six noeuds. Il devait prendre sa revanche aussitôt en abattant un des assaillants.

Nous avions rendez-vous avec des avions anglais à 13h, mais ils ne nous trouvèrent pas, car avec tous les zigzags que nous décrivions, nous nous trouvions plus sud que prévu. A leur place, ce furent encore les Allemands qui vinrent pour une quatrième et dernière attaque. Cette fois, ils nous manquèrent de peu. Quatre bombes nous encadrèrent de très près, une à vingt cinq mètres sur l’avant, une autre par le travers bâbord à la même distance, les deux dernières juste dans notre sillage et si près que j’en reçus des embruns.

Le Commandant Barthes s’excitait beaucoup pendant les attaques, bondissant de bâbord à tribord. Dès qu’il voyait les chapelets de bombes s’échapper des avions, il faisait mettre la barre toute d’un côté ou de l’autre pour les éviter. Très vite, on perdait de vue les bombes qui avaient pris de la vitesse, et il n’y avait plus qu’à attendre stoïquement.

L’agitation du Commandant contrastait curieusement avec le flegme tout britannique du Commodore Chatwin. Adossé à la cloison avant de la passerelle et tournant le dos à l’avant, il fumait tranquillement sa pipe, sans plus s’inquiéter des avions que s’il avait été dans les salons du "Reform Club" de Londres. Il est vrai qu’il avait eu un sérieux baptême du feu sur l’Exeter, dans le combat que celui-ci soutint avec le cuirassé corsaire Graf Von Spee au large de Montevideo.

L’officier de manœuvre Richard ne chômait pas, durant ces attaques. Il fallait surveiller sans arrêt les deux autres navires de la division, qui zigzaguaient individuellement, comme nous. A la vitesse de 40 noeuds, un écart de vingt à trente degrés sur la route moyenne, pour peu qu’il se conjugue avec le même écart en sens inverse d’un autre, rapprochait les deux navires à une vitesse impressionnante, bien qu’ils fussent dispersés à 1000 ou 1500 mètres l’un de l’autre.

Nous approchions de la côte écossaise. Vers 15h, les Allemands réapparurent mais ne nous attaquèrent pas. Quelques instants plus tard, nous avions connaissance de St Abb’s Head, à 15 milles au sud de l’île May.

A 17h, les trois bâtiments de la division, indemnes, ou à peu près, si l’on excepte les avaries du Triomphant, étaient amarrés à couple dans le port de guerre de Rosyth.





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Mis à jour le 30 juillet 2010



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