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Souvenirs de Eugène Le Gall

Avec la 8e DCT (1939-1940)

Le raid du Skagerrak – 23-24 avril 1940

Le raid aller

Jusque là, nous ignorions toujours pourquoi on nous avait fait remonter de Brest. Nous en étions réduits aux hypothèses les plus variées

Rappelons qu’à ce moment l’affaire de Norvège battait son plein. L’Allemagne tenait tout le Sud, de Bergen à Oslo, tandis que les alliés avaient réussi à s’implanter à Narvik dans le Nord, et à Namsos au centre.

Dans la soirée du mardi 23 avril enfin, un mouvement inaccoutumé dans le bord, des conversations secrètes entre le Commandant, le Chef d’Etat Major et le lieutenant commander Chatwin nous firent présumer qu’il y aurait du nouveau sous peu. Et en effet, on nous annonça bientôt que l’on appareillait le lendemain pour une action périlleuse. L’aumônier en personne vint à bord pour confesser ceux qui le désiraient.

Cette nouvelle nous fit grand plaisir. Enfin de l’action.

Le lendemain, mercredi 24 avril, dans la matinée, la 8e DCT levait l’ancre et descendait l’estuaire de la Forth. Et alors nous fut révélé le plan d’action :

Pour empêcher les Allemands de continuer leurs envois de troupes en Norvège, de nombreux sous-marins alliés patrouillaient dans le Skagerrak. Or celui-ci était une véritable gueule de loup, du fait que l’ennemi tenait à la fois la côte sud de la Norvège et le Danemark. De tous les ports de ces deux côtes pouvaient s’élancer des vedettes rapides, des chalutiers, qui gênaient considérablement les sous-marins et rendaient très périlleuses leurs missions. C’est alors que l’amirauté Anglaise avait pensé à nous. Nous étions les navires les plus rapides du monde – le record appartenant au Terrible, de la même série, avec 45 noeuds, soit 83 Kms à l’heure. Notre division était ainsi l’ensemble rêvé pour l’opération suivante.

Il s’agissait d’arriver à la tombée de la nuit à l’entrée du Skagerrak, de patrouiller toute la nuit dans le détroit en poussant jusqu’à la côte suédoise et de se retrouver au point du jour à la sortie. Nous avions pour mission impérative de couler tout, absolument tout ce que nous trouverions sur notre route, sous-marins, vedettes lance-torpilles, chalutiers, cargos. Les navires alliés étaient prévenus de s’abstenir de toute activité dans le secteur que nous devions balayer, afin d’éviter toute méprise. C’était, on le voit, une expédition très excitante.

Comme nous pouvions être repérés avant d’entrer dans le Skagerrak, et par suite nous trouver face à face avec une escadre allemande quand nous en sortirions, des croiseurs et des destroyers anglais se tenaient prêts à venir à notre rencontre depuis Namsos.

Vers 9h, nous étions à l’île May. Nous entrâmes bientôt dans une tempête de neige. Comme nous avions toute la journée pour atteindre le point E, à l’entrée du Skagerrak, on prit l’allure réduite de 24 noeuds. Pour ne pas indiquer notre but aux avions de reconnaissance, on mit d’abord le cap sur le point A, comme si nous devions effectuer un raid sur la côte occidentale du Danemark. A midi nous mîmes le cap sur B. La tempête avait cessé, le ciel était maintenant entièrement dégagé, circonstance qui n’était pas en notre faveur. Pourrions nous atteindre inaperçus le point E ? Vers 16h, nous mettions le cap sur ce point (voir la carte ci-contre).

Jusque là, le ciel s’était montré vide d’avions. Cependant, en arrivant au point C, on aperçut, très loin dans l’Ouest, un avion qui se déplaçait cap au Sud. Ce fut un moment d’émotion. Etait-ce un Anglais ou un Allemand ? Dans ce dernier cas, le succès de l’opération était bien compromis. Pour lui donner le change, on vint de 45 degrés sur la gauche. Mais bientôt, l’avion disparut dans le Sud et, au bout d’une heure, on reprit la route primitive. A 9h du soir, comme la nuit était faite, nous étions au point E, et le cap fut mis sur Goteborg.

L’équipage était tout entier aux postes de combat. Les ceintures de sauvetage avaient été distribuées, avec leur petit flacon de rhum. J’avais mon poste aux canons de 37.

La nuit était splendide, il faisait clair de lune. La vitesse fut progressivement augmentée jusqu’à 38 noeuds. Nous avions pris la formation en « ligne de front », ce qui permettait de ratisser une zone plus étendue. Cette vitesse de 38 noeuds (70 Kms/heure) devait nous permettre de nous trouver hors de la tenaille du Skagerrak quand le jour poindrait. Les nuits sont déjà courtes à cette époque, sous ces latitudes.

Pendant la première partie du trajet, rien ne se montra. Il y eut pourtant quelques alertes, mais non motivées. Ainsi, la côte suédoise fut atteinte et l’on mit le cap au Nord, en direction d’Oslo. Là encore, rien ! Pourtant, chacun écarquillait les yeux le plus possible, mais en vain. La mer se montrait déserte, sur tout l’horizon. Il nous fallut virer de bord, en G, sans avoir rien vu.

A partir de là, la route longeait la côte norvégienne d’assez près, à dix milles. A notre grande surprise, les phares étaient allumés, avec portée réduite bien sûr. La nuit noire, la lune était couchée.

Cependant, on ne rencontrait toujours rien et nous commencions à désespérer. Encore une heure ou deux et le jour commencerait à poindre.

C’est alors qu’enfin la chance nous sourit. L’alerte fut donnée soudain par tribord. Le Malin ouvrit le feu le premier, puis les deux autres l’imitèrent. A la lueur des obus éclairants, on distingua nettement, à deux ou trois milles, des coques noires. Un feu nourri convergea immédiatement sur ces navires. C’étaient des chalutiers, chasseurs de sous-marins. De nombreux coups au but furent enregistrés, on voyait la lueur rouge des éclatements. En l’espace de quelques minutes, l’affaire fut réglée. C’est à peine si les chalutiers eurent le temps de nous envoyer quelques bordées, qui nous ratèrent toutes. L’effet de surprise avait été foudroyant.

Mais bientôt, un autre ennemi surgit sur bâbord, en l’espèce trois vedettes lance-torpilles, qui foncèrent sur nous à près de quarante noeuds. Arrivées à deux cent mètres de nous, elles lâchèrent leurs torpilles et se dérobèrent. Un des engins passa à une dizaine de mètres devant notre étrave, deux autres se perdirent entre nous et le Malin. Mais les assaillants n’allèrent pas bien loin. Quelques coups de 138, et les vedettes allaient par le fond. Je vis l’une d’elles littéralement pulvérisée par un coup direct.

Le jour se faisait maintenant. Il s’agissait de s’éloigner rapidement des côtes, car les avions alertés allaient nous pleuvoir dessus. Et chacun regardait attentivement le ciel dans la direction de la Norvège. Effectivement, peu de temps après ce drame rapide, deux points noirs apparaissaient dans le ciel. Ils s’approchèrent un peu, salués par notre DCA, puis virèrent de bord. Ce n’étaient que des avions de reconnaissance qui venaient se rendre compte de notre importance.


Le

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Mis à jour le 30 juillet 2010



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