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Souvenirs de Eugène Le Gall

Avec la 8e DCT (1939-1940)

Le raid du Skagerrak – 23-24 avril 1940

A Rosyth

Dans l’après-midi, nous prîmes notre mouillage séparément afin de laisser la place aux deux autres bâtiments pour se ravitailler.

Je quittai le bord de bonne heure, avec la vedette. J’étais chargé d’aller à Edimbourg prendre contact avec le Consul. Deux matelots m’accompagnaient. Nous débarquâmes à Southqueensferry, au pied du grand pont de la Forth. C’est de là que part le ferry pour la rive nord du Firth, le pont ne servant qu’à la ligne de chemin de fer. Il est maintenant doublé par un pont routier.

Un car nous amena à Prince’s Street en une demi-heure. Puis par le train nous gagnâmes le Consulat. Mais c’était dimanche, et le consul, Mr Silversen, n’était pas là, il fallait s’en douter. Il n’y avait plus qu’à revenir. A la nuit tombante, nous étions à nouveau au débarcadère de Southqueensferry, au pied du grand pont. Malheureusement la vedette n’était pas au rendez-vous, mais en regardant bien, je finis par la découvrir. Oh, elle n’était pas bien loin, cinq cent mètres à peine, seulement elle était au sec sur la vase. Le patron avait voulu couper au plus court, sans tenir compte de la marée. Nous étions jolis, d’autant plus que la pluie tombait, une pluie fine et pénétrante. Et il ne faisait pas chaud du tout, et j’avais une faim du diable.

Il ne restait qu’à prendre patience en attendant le flot qui ne manquerait pas de dégager la vedette. En attendant, je bavardais avec quelques marins du village qui me racontèrent les dernières attaques des Allemands sur Rosyth. Toutes les demi-heures, régulièrement, le bac faisant le service entre les deux rives de la Forth accostait, jetant un peu d’animation sur la cale, et me donnant une idée de l’heure qui s’avançait.

Enfin, vers 22h, la vedette put se dégager. J’étais là depuis plus de trois heures et j’étais littéralement trempé. En arrivant à bord, je tombais en plein raout. Les officiers du cuirassé anglais Renown étaient au carré et si on discutait ferme, on buvait encore plus. Je commençai par m’envoyer un grog de tous les diables, car j’en avais besoin, puis je dînai confortablement, et alors seulement je me joignis à la compagnie.

Il y avait là un lieutenant de vaisseau, directeur de tir. Il était fort occupé, lorsque j’entrai, à nous raconter son combat avec le Scharnhorst et comment il avait tiré, sans télémétrie, par temps brumeux, et atteint le croiseur allemand. Il ponctuait ses démonstrations de "Boums" répétés. Il s’exprimait d’ailleurs en français.

Près de lui était un vieux Capitaine de Corvette de réserve, un petit bonhomme qui se livrait à mille excentricités, pour la plus grande joie de l’assistance. Mais il faut dire qu’il était rond comme un Polonais, ce qui ne l’empêchait d’ailleurs pas de descendre les whiskies avec aisance et dextérité. A un moment, il voulut essayer de jouer au bilboquet, mais la boule lui retomba sur le crâne, et il n’insista pas.

Enfin, pour terminer, il y avait un jeune enseigne et un non moins jeune ingénieur mécanicien. Celui-ci n’arrêtait pas de chanter et de raconter des histoires, tout le répertoire du collège y passait. Pour lui faire plaisir, nous lui chantâmes une vieille chanson anglaise, qui met toujours la larme à l’œil à tous les insulaires, mais qui pour nous a un sens tout opposé. C’est le célèbre "John’s Brown Body".

Pour finir il nous apprit quelques tours de pancrace et de catalepsie. Cette vieille chose de corvettard voulut l’imiter, mais il ne réussit qu’à le flanquer par terre. Enfin on se quitta sur un dernier whisky. Ici se place un dernier incident comique. Arrivé à la coupée, voilà mon corvettard qui descend les échelons, après le salut le plus digne qu’il puisse encore exécuter. Une fois en bas, il se cramponne à la rambarde, se retourne pour nous lancer un «hello» dégagé, il lève le pied droit pour embarquer dans la vedette, et "plouf", il disparaît dans les eaux de la Forth. Il n’avait pas remarqué que la vedette n’était pas encore accostée, elle était même encore à dix mètres du bord. Par bonheur, il y avait un matelot en bas de la coupée pour le repêcher. Ce fut une chance, car étant donné son état et le courant très violent qui régnait, il n’aurait pu s’en tirer tout seul.

Le lendemain midi, nous étions reçus à notre tour sur le Renown. Le Directeur de Tir et le petit bonhomme, complètement dégrisé, nous accueillirent. Tout d’abord on nous montra à l’arrière les dégâts commis par un 280 du Scharnhorst, qui traversa de part en part le cuirassé sans éclater, pulvérisant au passage la baignoire du Commandant. Puis nous admirâmes la puissante artillerie de DCA réalisée suivant la méthode dite des « quatre coins ». De là nous visitâmes la passerelle. Le lieutenant de vaisseau nous montra un porte-voix sectionné par un éclat d’obus ayant éclaté sur le gaillard. Après cela, n’ayant plus grand-chose à faire, l’éclat était allé couper un morceau du pied de l’officier de manœuvre.

En redescendant, on nous fit admirer les cuisines, d’une propreté irréprochable, comme tout le navire d’ailleurs. Pour finir, nous fûmes reçus au carré, où on nous servit un insipide jus de fruits. Je dus soutenir la conversation avec les deux pasteurs catholique et protestant. Je leur dis que nous avions également un aumônier, embarqué sur le Malin et ils se montrèrent très impatients de faire sa connaissance.

Dès le retour à bord, nous chassâmes le goût de leur sacré sirop par un solide cocktail.

Or ceci se passait le lundi 22 avril 1940.


Dumferline

Dumferline abbey and ruins of Frater Hall.

Forth

Forth bridge from south queensferry.

©titanne
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Mis à jour le 30 juillet 2010



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