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Souvenirs de Eugène Le Gall

Avec la 8e DCT (1939-1940)

Le raid du Skagerrak – 23-24 avril 1940

De Brest à Rosyth

Le jeudi 18 avril 1940, dans la matinée, la 8e DCT jetait l’ancre en rade des Dunes, à l’extrémité sud orientale de l’Angleterre. Elle se composait des trois contre-torpilleurs de 2500 tonnes Indomptable Malin et Triomphant numérotés respectivement X81, X82, X83 (X est l’indicatif des contre-torpilleurs, T celui des torpilleurs. Les anglais considéraient plutôt nos X comme des croiseurs légers).

Nous avions appareillé brusquement de Brest le lundi précédent. Comme toujours le secret avait été bien gardé sur notre destination. Tout ce que l’on sut, tandis qu’à la nuit tombante, la division en ligne de file embouquait le chenal du Four, c’est que l’on se rendait en premier lieu à Cherbourg. Au petit jour, nous étions dans les passes. Aussitôt les trois bâtiments entrèrent en cale. Sans assécher, on les entoura de plusieurs tours de câbles dans lesquels on fit circuler un courant intense, pendant deux heures : c’était l’opération dite de démagnétisation ou "degaussing", qui rend le navire inerte aux mines magnétiques.

Les préparatifs nous indiquaient clairement dans quels parages nous allions naviguer : Pas-de-Calais et Mer du Nord, qui étaient alors littéralement infestés de ces engins sournois. D’ailleurs, si un doute avait pu être conservé, il fut levé quand on embarqua tout un stock de canadiennes. Moi-même, je fus chargé d’une mission importante, ramener des magasins tout ce que je pourrais de marmites norvégiennes, gamelles, thermos, ceci en prévision de postes de combat prolongés, durant lesquels les officiers ne pourraient s’absenter.

Effectivement, le lendemain soir nous mettions le cap sur Douvres. Le Pas-de-Calais fut franchi sans encombres dans la nuit et, au matin, les blanches falaises des Downs resplendissaient du soleil levant. Chacun était heureux. Enfin, on allait avoir du sport. Mais dans quel sens se tourneraient nos activités, voilà ce que l’on ignorait encore.

La rade des Dunes était encombrée de nombreux navires marchands à l’ancre, battant pavillon anglais, français, hollandais, belge. Elle était aussi sérieusement embouteillée par les innombrables épaves de bâtiments ayant sauté sur les mines magnétiques. De quelque côté que la vue s’étendit on ne voyait que des extrémités de mâtures ou de cheminées émergeant des eaux grises de la mer du Nord. Dans nos environs immédiats, j’en dénombrai une bonne douzaine, dont quelques forts cargos.

Durant toute la matinée, des avions évoluèrent au ras de l’eau. Ils avaient en remorque quelque chose d’indéfinissable qui traînait dans l’eau. De temps en temps, dans le sillage une petite gerbe éclatait et on entendait peu après le bruit d’une explosion assourdissante. C’est ainsi que les anglais faisaient le nettoyage des mines magnétiques infestant la rade.

Peu après nous arrivèrent deux sous-marins français qui allèrent mouiller à quelques encablures. J’ai oublié leurs noms.

Vers 13h, un petit tender sortit de Ramsgate et vint nous accoster. Un officier anglais monta à bord, suivi d’un maître d’équipage et de deux matelots. Ils avaient avec eux un matériel impressionnant, des valises, des sacs de marins, des pelisses fourrées.

L’officier, un lieutenant commander, je crois, s’appelait Chatwin et il était chargé d’assurer la liaison entre le bord et l’Amirauté Britannique, car dès ce moment, nous étions sous les ordres de celle-ci. Pourquoi faire, nous ne le savions toujours pas.

L’officier marinier était un premier maître timonier, un bon gros placide du nom de Kennedy, un Irlandais certainement. Quant aux matelots, l’un était radio, l’autre timonier. Ils appartenaient tous deux, ainsi que le Commodore Chatwin, au croiseur Exeter dont on n’a pas oublié l’odyssée héroïque lors du combat du Rio de la Plata, contre le corsaire allemand Graf Von Spee.

Quand les deux matelots eurent été casés à bord, je m’enquis de leurs préférences culinaires. Connaissant les habitudes anglaises, je leur promis qu’ils auraient tous les matins des œufs au jambon, et qu’on leur donnerait du thé à la place de vin. Ce à quoi ils me répondirent qu’ils voulaient bien aussi du vin.

Nous passâmes la nuit au mouillage. Il y eut une alerte aérienne vers une heure du matin, sans incidents. Les projecteurs côtiers s’allumèrent mais la D.C.A. ne tira pas. Deux nuits auparavant, nous dit Kennedy, avait eu lieu une attaque assez massive. Deux bâtiments furent touchés et coulèrent.

Enfin, le lendemain, vers midi, nous appareillâmes Cap au Nord. La route tracée sur la carte suivait la côte d’aussi près que possible. En réalité, elle ondulait au hasard des champs de mines, tant anglais qu’allemands. Toute la journée précédente, avec Queffelec, j’avais peiné à déchiffrer les "avis secrets" de l’Amirauté Britannique sur toutes les cartes qui vont du Pas-de-calais aux Orkneys, il avait fallu reporter les zones dangereuses. Cela faisait de vastes zones rouges impressionnantes au milieu desquelles s’insinuait comme un mince ruban le chenal libre de mines. Encore ce chenal devait-il être modifié fréquemment au gré des courants qui déplaçaient les mines. Il se rétrécissait parfois jusqu’à ne plus avoir qu’une cinquantaine de mètres. Il fallait viser juste et ne pas manquer les bouées le balisant.

La partie la plus dure fut la traversée de l’estuaire de la Tamise. Dans ce vaste bras de mer, large de 80 kilomètres, encombré de bancs de sable, il faut tenir compte à la fois de ceux-ci et des champs de mines. Ainsi le chenal y effectue des zigzags les plus imprévus, parfois même de véritables épingles à cheveux.

De temps en temps on croise ou on double un long convoi de bateaux marchands. Une fois, un de ceux-ci nous mit dans l’embarras. Comme il atteignait près de trois kilomètres de long, et que chacun des navires le composant avait la mauvaise habitude de suivre son « matelot d’avant » sans s’inquiéter le moins du monde de la route suivie, il advint que le dernier de la ligne se trouvait nettement en dehors du chenal. Et par conséquent, notre ligne à nous se trouvait refoulée encore davantage en marge de celui-ci. Le Commandant Barthes prit une décision énergique, il fit hisser le signal "franchissement de créneaux" et les trois navires venant tout à la fois en grand à droite, s’insinuèrent chacun entre deux navires marchands. La manœuvre, exécutée de façon parfaite, la division reprit sa ligne de file.

Le samedi 20 avril, entre Yarmouth et Flamborough, nous rencontrions la première mine dérivante, en plein chenal. On signala au Malin de la détruire. Par la suite, on apprendra à ne pas s’en inquiéter, le remous provoqué par notre grande vitesse suffisant à les écarter.

Le temps est ce qu’il est habituellement dans ces parages, le plus souvent embrumé, aussi on a fort à faire pour ne pas manquer les bouées qui sont assez espacées. On peut, il est vrai, se recaler sur les bateaux-feux qui jalonnent notre route.

A la nuit tombée, on relève le feu des Flamborough Head. Les convois deviennent plus nombreux. Voici les feux de Sunderland. Au petit jour, on a connaissance de l’île May. La visibilité, d’abord médiocre, s’améliore et la ville d’Edimbourg apparaît dans le sud, au pied de son célèbre château. A l’îlot d’Inkeith, nous passons le barrage de filets ; le grand pont de la Forth surgit, avec ses trois arches monumentales enjambant le Firth aux eaux glauques.

Nous rendons les honneurs au cuirassé Warspite ; peu après, la division s’engage sous le pont. Sitôt en amont, l’Arsenal et le port de Rosyth apparaissent sur la rive gauche. Nouvel échange de salut avec le cuirassé Renown, et pendant que le Malin et le Triomphant jettent l’ancre, nous allons à couple d’un pétrolier pour nous ravitailler.


Contre-torpilleur

Le Malin. Photo collection E. Le Gall




Contre-torpilleur

Le Triomphant. Photo collection E. Le Gall




Contre-torpilleur

Le Malin. Photo Marius Bar,
extraite du site worldwartwo.free.fr











Skagerrak./
































Franchissement de créneaux

Franchissement de créneaux








Le
Le

Le croiseur cuirassé Renown.

©titanne
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Mis à jour le 30 juillet 2010



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