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Souvenirs de Eugène Le Gall

Avec la 8e DCT (1939-1940)

Le faux curé & le prisonnier Allemand

A midi, tout le monde se retrouva au carré. Chacun avait conservé son travestissement. Le nouveau venu dut se plier à un rite particulier à l’Indomptable : saler la barbe du Commandant. A cet effet, une superbe barbe postiche était suspendue à l’entrée, avec une salière. Tout nouvel arrivant était tenu de verser un peu de sel sur cet appendice pileux, supposé représenter celle du "Pacha". Dans la marine, le titre de « Barbe salée » est décerné familièrement aux "Tontons" réputés fins manœuvriers. Ce rite devait remonter au précédent Commandant, le Capitaine de vaisseau Barnaud, qui était très populaire et adoré de son équipage. Au mois d’août précédent, il avait été désigné pour le croiseur Georges Leygues, et tous les officiers de l’Indomptable l’avaient conduit à la rame en baleinière sur son nouveau navire.

Je dois dire que son remplaçant, le Capitaine de vaisseau Barthes, était digne au même titre de cette appellation. C’était un remarquable manœuvrier, "culotté" même, devrais-je dire. Je garde le souvenir d’un appareillage de Brest : sitôt largués les fils d’acier avant et arrière, les machines en arrière toute, il avait traversé ainsi toute la rade en passant entre le Dunkerque et le Strasbourg, mouillés au milieu, et toujours sans mollir, il était sorti des digues. J’en étais resté sans souffle !

Or donc, nous avions tous pris place à table et, en ma qualité de plus jeune, je m’étais levé pour réciter le menu, débutant par la formule traditionnelle :

«Commandant, mon Colonel (1), Messieurs !»

et terminant par

«Bon appétit, Commandant, mon Colonel, Messieurs !»,

à quoi, traditionnellement, un chœur de choses désobligeantes me répondait.

Sur ce, l’ "aumônier" Destremau se leva et récita un vague benedicite (il avait emprunté la soutane à son frère, je crois, qui était prêtre).

A ce moment, on entendit une voix forte s’écrier

«Heil ! Hitler !».

Je vis mon Feillard ouvrir de grands yeux stupéfaits. Il était assis, face à la porte, et dans l’encadrement, se présentait un officier de marine allemand, raide, le crâne tondu, un brassard rouge à svastika noir au bras gauche. Derrière lui se profilait un matelot en armes, le mousqueton même de sa baïonnette à la main. Il accompagna l’Allemand à une petite table dressée dans un coin et se tint debout, près de lui.

Placé en face de Feillard, je le "mis au courant" : lors de notre dernière sortie, nous avions coulé un sous-marin et fait prisonnier le Commandant, qui attendait d’être transféré à la Préfecture maritime. En fait, c’était mon ami [...] qui jouait le rôle du prisonnier, et le maître d’hôtel du Commandant celui du fonctionnaire. [...] était parfait dans son rôle, et pendant qu’il mangeait, sans un mot, il roulait vers nous des yeux féroces.

Pendant ce temps la farce continuait à notre table. Notre propre maître d’hôtel, dûment stylé, accumulait les gaffes, servant les plus jeunes d’abord, renversant les plats, remplissant les verres de vin à dégouliner. Et à chaque fois, c’était un concert de jurements et de récriminations.

Quant à notre "aumônier", il restait impassible au milieu de ce déchaînement. Tout au moins au début !

Plein de componction pour commencer, l’influence des vins aidant sans doute, il se laissa aller, tout doucement, et le Président s’étant mis à raconter des histoires de plus en plus scabreuses, on le vit sourire d’abord, puis s’esclaffer bruyamment, en tapant sur la table. Et enfin il se mit de la partie lui-même, sortant des anecdotes de plus en plus grivoises, et plus salées que la barbe de notre "Pacha". Et le repas s’acheva ainsi, de la façon la plus joyeuse.

L’ahurissement de mon Feillard était à son comble. Mais ainsi que je l’ai déjà dit, il ne soupçonna pas la supercherie, tellement c’était bien joué.

Tout lui fut révélé le soir même, quand au canot major 17, les officiers eurent réintégré leur véritable personnalité.

Et puis, l’éclairage des convois reprit. Mon père, officier mécanicien transat, se trouvait dans l’un de ceux-ci, sur l’Alaska, mais je l’ignorais. Nous étions sans nouvelles de lui depuis le début de la guerre qui l’avait surpris alors qu’il naviguait quelque part dans le pacifique sud. De retour à Brest, j’étais chez moi, rue Danton, un soir de décembre, avec ma mère. Vers 20h, un télégraphiste vint sonner à notre porte. C’était un télégramme de mon père, qui disait : «Bien arrivé Havre, viens me rejoindre». A 7h du matin, ma mère prenait le train pour Le Havre. Elle fut accueillie le soir même par un marin anglais sur le quai de la gare : c’était mon père !

Le convoi dont il faisait partie avait atteint Liverpool sans encombres. Mais, peu après avoir quitté le grand port du Nord de l’Angleterre à destination du Havre, il avait fait naufrage. Recueilli par une corvette anglaise, il avait été rapatrié, via Londres et Southampton.

Et nous arrivons ainsi au mois d’avril. La "drôle de guerre", qui durait depuis sept mois, allait se terminer par un coup de tonnerre.


Capitaine

Capitaine de Vaisseau Barthes, lors d'une prise d'armes sur l'Indomptable, mi-juillet 1940, à Toulon.













(1) Ce titre de "biffin" est donné à l’Officier fusilier, en l’occurrence l’Enseigne de 1e classe Richard.















































Le Cargo Alaska.

Le Cargo Alaska.

Le naufrage de l'Alaska, 2 récits sur ce site :

Article du journal "Le Petit Havre"

L'abordage de l'Alaska n'est qu'un malheureux accident de la navigation.
Le naufrage a eu lieu à six heures du Havre.
L'Alaska, ainsi que nous le signalions jeudi a sombré alors que, son périple terminé il rejoignait Le Havre son port d'attache.
Lire la suite...

Extrait du livre "La marine marchande française", par JY Brouard, M. Saibène et G. Mercier

Novembre 1939
Perte de l’Alaska de la compagnie générale transatlantique. Parti la veille de Liverpool, l’Alaska est abordé sur tribord, ce même jour 13 novembre à 21 heures 15, à environ 12 milles dans le sud sud est de Sainte Catherine’s point (île de Wight), par le vapeur anglais Dotterel.
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©titanne
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Mis à jour le 30 juillet 2010



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