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Souvenirs de Eugène Le Gall

Avec la 8e DCT (1939-1940)

Les convois

Durant tout l’hiver, les torpilleurs et les contre-torpilleurs, mais surtout les premiers, assumèrent une lourde tâche, celle d’escorter les convois de navires marchands. Travail exténuant si l’on songe au mauvais temps continuel qui règne en Atlantique à la mauvaise saison, et d’autant plus pénible que ces petits navires n’ont pas beaucoup de stabilité. Et les convois se traînaient souvent à l’allure réduite de 6 à 8 nœuds. Dans ces conditions, les traversées n’en finissaient plus.

Pour les contre-torpilleurs, notamment la 8e DCT, composée de trois navires, Chef de file l’Indomptable, la tâche était plus aisée. Les missions se bornaient à l’éclairage des convois, c’est-à-dire que l’on allait au devant d’eux et que l’on revenait aussi vite. D’ailleurs, notre rayon d’action ne nous permettait pas de nous attarder. Pour prendre un exemple, l’Indomptable, à 24 nœuds, ne pouvait tenir la mer plus de cinq jours.

Au début, nous fîmes les convois d’Angleterre. Ceux-ci amenaient surtout des troupes qui débarquaient à Cherbourg, Brest, Saint-Nazaire. Ils s’effectuèrent sans dommage. Il n’en fut pas de même pour les navires revenant d’Amérique qui subirent de fréquentes attaques en arrivant aux "Western Approaches", les Approches Occidentales, c’est-à-dire à 100 ou 200 milles à l’ouest de Brest. C’est dans ces parages que furent torpillés l’Emile Miguet, la Bretagne & la Louisiane, les 12 et 13 octobre suivants. Le premier appartenait à la Cie navale des Pétroles. C’était le plus gros pétrolier du monde à l’époque (24000 tonnes). Il avait deux "Sister Ships" sur cale à l’époque : le Bagdad et le Palmyre qui ne naviguèrent qu’après guerre. Le Palmyre fut mon premier embarquement à la CNP en 1952. Les deux derniers étaient des "Transat", et j’avais débuté comme élève-officier sur la Louisiane en 1933.

Quand nous partions au-devant de ces navires, le secret était bien gardé. L’ordre d’appareiller venait souvent dans la nuit. Le Dunkerque, qui ne bougeait pas de Brest, nous signalait, par un mot conventionnel, d’allumer aussitôt les chaudières. Il s’agissait alors de faire vite car il y avait beaucoup de choses à faire et, en général, l’officier de garde était seul à bord. L’ingénieur de service faisait allumer avec une bordée de la machine. Pendant ce temps on réveillait des plantons, au nombre de huit ou dix, désignés à l’avance, et connaissant parfaitement la ville, pour aller réveiller les officiers et l’équipage ayant un domicile en ville. Cela était nécessaire car, avec les consignes de défense passive imposant le black-out le plus sévère à Brest, il était impossible de s’y reconnaître sans habitude. La vedette et le canot major les conduisaient à terre, et y restaient, en attendant les premiers arrivants. Pendant ce temps, avec une bordée du pont, on prenait les dispositions d’appareillage : démailler devant et derrière, passer à la place un fil d’acier en double, mettre les glissières à obus en place, relever les coupées, installer les filières à roulis, vérifier les armes.

Une fiévreuse activité régnait alors à bord. J’en sais quelque chose, à trois reprises différentes, il m’est arrivé d’avoir à prendre ces dispositions.

Après un délai variant entre une et deux heures, l’équipage rallie le bord. Le travail se simplifie alors, chaque officier arrivant prend son service en main. Un nouveau signal a signalé l’heure exacte d’appareillage. Puis une vedette du Dunkerque accoste, apportant les instructions. On fait l’appel, les embarcations sont hissées, il n’y a plus qu’à attendre l’heure H. Vingt cinq minutes avant, on rappelle à leurs postes les hommes de transmissions et de porte-voix, puis un quart d’heure avant, au poste d’appareillage tout est prêt.

Enfin, de la passerelle, l’ordre est transmis devant et derrière : «Larguez tout». Les fils d’acier fouettent l’eau et sont rentrés rapidement à la main. Un tour en avant pour se dégager du coffre arrière, et puis en arrière toute. Le contre-torpilleur est appareillé.

En avant toute ! Les jetées sont passées, on s’engage dans le goulet. Le barrage de filets est franchi, et l’on navigue maintenant dans le chenal de sécurité ou R.E.P. (route éclairée praticable). La Parquette est dépassée, c’est à présent la haute mer et la division fonce à la rencontre de son convoi qui se traîne péniblement à six ou sept cent milles de là.





Bordeaux en 1933, 1er embarquement sur Louisiane

Bordeaux en 1933, 1er embarquement sur Louisiane




Le cargo Louisiane

Le cargo Louisiane.




Western

La carte des torpillages.



©titanne
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Mis à jour le 30 juillet 2010



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