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Torpillage du cargo Wyoming

Extrait du livre "La marine marchande française",
de Marc Saibène, Jean-Yves Brouard et Guy Mercier



Mars 1943

Du seul point de vue de la marine marchande, ce mois de mars sera néfaste pour les Alliés. La voie d’approvisionnements reliant la Grande-Bretagne à l’Amérique du Nord à travers l’océan Atlantique est vitale (lire aussi plus haut le récit du convoi Gibraltar-Grande-Bretagne). Or, les pertes que vont subir les navires marchands seront telles que les Britanniques se demanderont si le système de la navigation en convoi, rassemblant des dizaines de navires protégés par leur nombre et par des escorteurs, ne doit pas être revu.

Qu’on en juge. Quatre grands convois prennent la mer au cours de ce mois : SC 121 (convoi lent Halifax-Grande-Bretagne, parti le 25 février et arrivé dans la Clyde le 13 mars ; 12 navires coulés, dont, le 8 mars, l’ex-français Fort Lamy – voir plus loin - et 2 avariés) ; HX 228 (convoi rapide, même trajet, parti le 1er mars et arrivé dans la Clyde le 14 ; 5 navires perdus et 3 avariés) (parmi les navires de guerre assurant l’escorte de ce convoi figurent trois fameuses corvettes FNFL : Roselys, Renoncule et Aconit, cette dernière coulant deux sous-marins en l’espace de 24 heures !) ; SC 122 (parti d’Halifax le 8, arrivé le 22 ; 9 navires perdus et 2 avariés) ; et enfin le HX 229 (parti d’Halifax le 9, arrivé le 22 ; 13 navires perdus et 4 avariés). À noter qu’en fin de traversée, HX 229 avait rejoint SC 122 pour former un seul convoi regroupant près de cent navires marchands.

Pour mener cette bataille, qui dure du 7 au 19 mars, la Kriegsmarine engage de nombreux sous-marins dont certains ont pu être identifiés : U 86, 91, 190, 221, 228, 229, 230, 305, 333, 336, 338, 359, 384, 405, 406, 409, 432, 436, 440, 441, 444, 523, 526, 527, 530, 590, 591, 600, 603, 608, 616, 621, 631, 642, 666, 757 et 758. Leurs pertes se limitent à trois unités : U 384, attaquant du convoi HX 229, coulé le 19 mars par un avion allié au sud-ouest de l’Islande ; U 444 attaquant du HX 228, endommagé par abordage volontaire du torpilleur HMS Harvester le 11 et achevé par la corvette FNFL Aconit ; U 442, attaquant du même HX 228 et coulé le 11 par la même Aconit.

Mais ce mois de mars 1943 est également considéré comme la période du basculement de la tendance : à partir de là, la situation en Atlantique nord va en s’améliorant. L’entrée en service, en plus grand nombre, d’escorteurs neufs ainsi que celle de porte-avions d’escorte permettent la formation de groupes de chasse : torpilleurs et porte-avions vont traquer les sous-marins et viendront ainsi renforcer l’escorte de convois durement attaqués.

Le 15, perte du Wyoming (Marine Alger). Immobilisé à Casablanca depuis le 1er juillet précédent, ce cargo s’y trouvait au moment du débarquement du 8 novembre 1942. Après réunions et accords entre les autorités américaines et françaises d’Afrique du Nord, il est affrété à Casablanca, le 12 février 1943, ainsi que d’autres navires marchands français, par la US War shipping administration (WSA), organisme américain qui régit les transports maritimes. Le Wyoming, battant toujours pavillon français, armé par son équipage français, quitte New York le 4 mars avec 97 hommes d’équipage (canonniers compris), 30 officiers américains passagers et 6 450 tonnes de marchandises diverses. Il est intégré dans le convoi UGS 6 (États-Unis-Gibraltar-Méditerranée) comprenant au total 48 navires escortés par 7 torpilleurs américains. Pour relater la suite, nous publions des extraits du rapport dressé par l’enseigne de vaisseau Renaudineau, officier canonnier à bord :

“ Le convoi était formé de la façon suivante :

1e ligne, 12 navires,

2e ligne, 12 navires,

3e ligne, 10 navires,

4e ligne, 8 navires,

5e ligne, 6 navires,

le tout escorté par 7 torpilleurs américains.

Le Wyoming occupait le poste extérieur droit de la 5e colonne. J’ai appris d’ailleurs que les Américains appellent ce poste “ Coffin corner ” (coin du cercueil).

Le 4e jour [8 mars], aux environs des Bermudes, en manœuvre d’urgence, deux cargos se sont abordés pendant la nuit ; ils ont coulé aussitôt. Les navires américains semblent avoir de grandes difficultés pour tenir leur poste dans le convoi. Sans parler de conserver les distances réglementaires, ils n’arrivent pas à rester dans la ligne de file. C’est sans doute ce qui explique la collision [en réalité, un cargo norvégien hors convoi est entré en collision avec un américain du convoi ; seul le norvégien a coulé ; l’incident a immobilisé un autre cargo du convoi, resté sur place pour recueillir les naufragés.

Le 6e jour, le commodore a signalé aux bâtiments que nous étions suivis par un sous-marin (qui avait dû être détecté en surface pendant la nuit).

Le 9e jour [13 mars], un des cargos n’a pas pu suivre le convoi (vitesse : 9 nœuds) et a été torpillé à 20 h. 30, vingt milles derrière nous (il s’agit du Keystone).

Le lundi 15 mars à 18 h. 50, sans que les escorteurs aient donné l’alerte, nous avons reçu une première torpille. D’après le veilleur et un officier du bord, cette torpille nous a frappés en surface. Deux minutes plus tard, une seconde torpille nous touchait à peu près au même endroit. ”

C’est le matelot canonnier de veille à l’arrière qui signale à la passerelle l’arrivée successive des deux torpilles par le travers tribord, après quoi il quitte son poste. La première torpille explose sur l’arrière de la cale II. Le Wyoming prend de la gîte, l’avant s’enfonce, puis le navire se redresse rapidement. Une minute plus tard, la seconde torpille explose à tribord, au niveau de la passerelle où tout l’appareillage est mis hors service. La mer s’engouffre dans la brèche, très vite l'avant est sous l’eau jusqu’à hauteur de la cale II.

“ Les canots de sauvetage, raconte encore l’EV Renaudineau, avaient été amenés : un canot par le second capitaine, un canot par un homme du bord, deux canots par le lieutenant Allain. Tout le personnel et les passagers ont pu y prendre place (127 hommes), sauf le commandant, les lieutenants Allain et Le Gall et les deux officiers radios, qui seront recueillis au moment de la disparition du navire.”

Le Wyoming coulera peu après par 40° 18’ nord et 28° 56’ ouest. Une demi-heure environ après sa disparition, le torpilleur américain Champlin embarquera tous les rescapés.

Le convoi perdra au total quatre navires, un cinquième subira des avaries. Le Wyoming a été victime de l’U 524, qui disparaîtra à son tour huit jours plus tard, sous les coups d’un avion allié à environ 160 milles dans le nord-ouest de Madère.




-> Voir le site de Jean-Yves Brouard

La marine marchande française. Saibène, Brouard, Mercier

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Mis à jour le 30 juillet 2010



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